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Médecin coordinateur en EHPAD, un rôle peu connu

L’organisation sanitaire des EHPAD peut ressembler à une vaste nébuleuse pour qui n’y est pas habitué. MobaSpace avait donc envie de vous faire partager le regard et l’expérience de différents protagonistes. Nous commençons une petite série d’interviews avec le Dr Julie Stolz. Bonne rencontre !

Julie, peux-tu te présenter?

Je suis médecin coordinateur en EHPAD, j’ai 40 ans, et je suis maman de 2 petites filles de 9 et 7 ans. J’ai fait mes études de médecine à Paris.

Après le concours de l’internat, j’ai commencé par un parcours de médecine générale qu’il faut, entre autres, valider en passant un semestre dans un service d’urgences. J’y ai porté un intérêt particulier pour la prise en charge des personnes âgées. Pour le stage suivant, j’ai alors choisi un service de gériatrie, qui permettait aussi de valider le cursus. Mon appétence pour la discipline s’y est confirmée, et j’ai décidé de finalement m’orienter vers cette spécialité.

Puis j’ai rejoint mon mari à Genève où j’ai poursuivi mon internat puis occupé mes premières fonctions de gériatre senior. Je suis restée 7 ans à l’hôpital universitaire de Genève. Depuis 4 ans, je suis médecin coordinateur d’EHPAD, à Annecy.

Pourquoi cette appétence pour la gériatrie?

C’est une discipline riche, tant sur le plan purement médical qu’humain.

Sur le plan médical, une personne âgée arrive en gériatrie avec plusieurs soucis de santé contemporains, on appelle ça « la polypathologie ». Notre travail, c’est de soigner en tenant compte des spécificités de chacune de ces maladies. Souvent, en traiter une a des conséquences sur une autre. Cet équilibre délicat entre bénéfice et risque des traitements est un défi. Mais nos choix thérapeutiques doivent aussi être guidés par la qualité de vie des patients : « primum non nocere », c’est-à-dire « d’abord ne pas nuire », c’est le principe qu’on nous enseigne dès le début des études. Ainsi, parfois la théorie nous orienterait dans une direction, mais la réalité du quotidien du patient nous en fait finalement choisir une autre. Par exemple, si un problème cardiaque nécessite un anticoagulant, mais que la personne chute très souvent, alors on met ces 2 arguments dans la balance, on voit si on peut corriger des facteurs de chute, si la personne vit seule ou pas… Et pour 2 situations médicalement identiques, on prescrira l’anticoagulant pour l’une, mais pas pour l’autre.

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Pour l’aspect humain, de manière générale, tous les médecins, quelque soit leur spécialité, découvrent des histoires de vie singulières derrière leurs patients. En gériatrie, la particularité, c’est qu’il y a une longue tranche de vie derrière eux. Lorsque j’étais interne, je rencontrais régulièrement des patients âgés qui avait leur numéro de déportation tatoué sur l’avant bras ; ça ne s’oublie pas. Et puis il y a parfois des situations familiales qui se sont compliquées au cours des années, d’autres fois des difficultés sociales… La frontière entre le somatique, le psychologique et le social peut être mince. Mais on entend aussi de belles histoires ! Une de mes patientes était infirmière dans un hôpital où elle avait rencontré son mari qui y était le directeur !

Une autre richesse de notre spécialité, c’est l’approche pluri-disciplinaire. Tout seul, le médecin ne fait pas beaucoup bouger les lignes. Pour être efficace et avoir une vision uniciste du patient, il faut travailler main dans la main avec kinés, psychologues, psychomotriciens, pharmaciens… Et surtout, il faut communiquer avec les médecins généralistes. Quand tu reçois un patient à l’hôpital, si tu n’appelles pas son généraliste, tu peux être sûr que tu rates la moitié de l’histoire, et cela impactera ta prise en charge.

Qu’est ce qui t’as orienté vers la coordination médicale d’EHPAD ?

Comme pour tout métier, tu éprouves parfois le besoin de t’ouvrir à d’autres aspects de la profession. Après 7 ans à l’hôpital, j’avais envie d’autre chose. Mais je voulais bien sûr rester dans le domaine de la gériatrie, et travailler en équipe.

Quelles sont les particularités de la discipline en EHPAD?

particularités de la discipline en EHPAD

Je vais commencer par une réponse qui relèverait davantage de la communication que de la médecine. Les EHPAD sont presque tous des « EHPAD médicalisés », mais le terme génère de la confusion dans l’esprit des gens. Ils y voient un quasi-hôpital, alors qu’il s’agit d’un lieu de vie avec des ressources humaines sanitaires bien différentes. Pour illustrer cela, il faut regarder le ratio soignants-soignés : à l’hôpital, on compte 1 infirmière pour 10 à 12 patients. En EHPAD c’est 1 pour 60 résidents. A partir de là, on comprend qu’on ne peut pas assurer les mêmes soins. Mais je dois dire que, même en tant que gériatre, je ne connaissais pas bien cette réalité avant d’y travailler. Quand on est hospitalier, on participe aussi, sans s’en rendre compte, à cette distorsion du rôle de l’EHPAD. Lorsqu’on a un patient qui quitte le service pour aller en EHPAD, on a tendance à lui dire, ainsi qu’à son entourage, que tel soin pourra être effectué là-bas. Ce n’est pas tout à fait exact, parce que oui, les compétences de l’infirmière d’EHPAD lui permettraient de gérer la situation, mais son emploi du temps ne le lui permet pas. Donc une particularité de la pratique, c’est de s’assurer de l’alignement entre le besoin de la personne âgée et notre offre de soins. Et en cas de non alignement, mon travail de coordinateur, c’est d’en créer les conditions favorables. Il faut connaître les acteurs locaux de l’écosystème pour aboutir à l’admission du senior au bon moment, et dans les bonnes conditions de sécurité, au sens large du terme.

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Une particularité du poste, c’est que le médecin coordonnateur connaît bien le parcours médical des résidents, puisqu’ils vivent « à l’année » dans l’établissement. Néanmoins, là encore, il faut souligner que son rôle est bien différent de celui du médecin traitant, et c’est un point compliqué à faire comprendre aux familles. En effet, je n’assure pas le suivi rapproché : chacun garde son médecin traitant. Moi, je sers de liant, je mets de l’huile dans les rouages, j’apporte un œil gériatrique aux confrères quand ils en ont besoin, je dessine la politique de santé et prévention de l’établissement…

Le challenge c’est d’articuler les acteurs entre eux. Les professionnels médicaux et para-médicaux sont peu disponibles. Ils exercent souvent à temps partiel dans les EHPAD. Il faut donc faire preuve de rigueur et d’organisation, pour mettre tout cela en musique. Par exemple, si un résident a un souci de santé et que son généraliste n’est pas disponible, je dois appeler ce dernier pour lui demander l’autorisation de gérer la situation. Dans mon établissement, il y a 30 généralistes qui interviennent : ça donne une petite idée de la partition.

Ajoutons que dans un EHPAD moyen de 80 places, un médecin coordinateur travaille à mi-temps. Les jours où on est absent, il arrive que des familles anxieuses veuillent nous voir à tous prix, parce qu’une nouvelle fois, elles pensent hôpital, et pas EHPAD.

Autre exemple : la nuit, il y a une aide-soignante pour 30 à 45 résidents. Et jusqu’en 2015 environ, il n’y avait aucune infirmière la nuit. Depuis, de plus en plus d’expérimentations testent leur présence, notamment en partageant une infirmière de nuit entre plusieurs établissements. Mais ce n’est pas la règle, cela reste une expérimentation.

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De cette organisation peu connue, peut naître de l’incompréhension. C’est à nous d’informer les protagonistes dès le départ, d’expliquer le rôle de chacun, comment on communique…

Finalement, tout ce système peut paraître complexe pour ceux qui n’y sont pas familiers. Chacun des acteurs connait-il bien sa place?

Avant de parler de place, on peut parler de nombre. IL faut aborder la question des ressources médicales en France, et notamment du nombre de médecins généralistes. L’augmentation du numerus clausus depuis 2005 environ ne portera pas ses fruits avant quelques années encore. Actuellement, les français ont parfois du mal à trouver un médecin traitant, et c’est d’autant plus vrai s’ils en cherchent un qui se déplace en EHPAD. Et puis les consultations auprès des personnes âgées prennent du temps, et leur valorisation financière par l’Assurance Maladie est un sujet.

Pour revenir au rôle de chacun, c’est vrai que c’est un peu compliqué. On assure la continuité au prix de multiples acteurs, donc continuité oui, mais il faut s’assurer que ce terme soit synonyme de suivi de qualité. Et je dois dire que ce sont souvent l’infirmière coordinatrice (qui est donc la cadre de soins) et le médecin coordinateur qui portent cette responsabilité qui est en fait celle de tous.

Quels sont les autres acteurs sanitaires avec lesquels tu travailles? Quelle est la fonction de chacun ?

L’équipe mobile gériatrique est une antenne hospitalière se déplaçant en EHPAD. Elle apporte un regard extérieur et des conseils en cas de prise en charge complexe d’un résident.

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L’hospitalisation à domicile. Elle assure des soins qui seraient soit trop chronophages, soit trop techniques pour l’EHPAD. Il peut s’agir de pansements complexes d’escarre, ou encore de seringue électrique d’anxiolytique et/ou de morphine dans les situations de fin de vie.

La consultation mémoire hospitalière reçoit certains de nos résidents, notamment ceux récemment arrivés, qui présentent des troubles cognitifs, mais pour lesquels aucune exploration n’a été faite à ce jour. La consultation mémoire est envisageable à condition que la maladie ne soit pas trop évoluée, car les tests ne seraient dans ce cas pas réalisables. Poser un diagnostic, c’est important : cela participe à l’acceptation de la maladie par l’entourage, et c’est nécessaire pour une prise en charge par l’Assurance Maladie. Enfin cela permet à la personne d’accéder à certains accompagnements, comme le PASA (pôle d’activités et de soins adaptés), sorte d’accueil de jour réservé aux résidents de l’EHPAD, pour les stimuler cognitivement, et favoriser le lien social.

Le SAMU : on l’appelle en cas de détresse vitale d’un résident pour lequel on sait qu’il y aura un bénéfice à le transférer dans une structure très médicalisée. Mon propos paraît évident, mais en pratique, si un résident polypathologique grabataire et avec des troubles cognitifs sévères fait un choc septique, on sait qu’il ne tirera pas de bénéfice à une hospitalisation, et que son pronostic vital est de toute façon compromis. Dans une telle situation, si tu as bien discuté avec l’entourage au préalable, si tu sais que tu pourras assurer le confort du résident à l’EHPAD et l’accompagner dignement dans le cadre d’une fin de vie, alors l’intervention du SAMU n’est pas pertinente. En revanche, il nous arrive régulièrement de les joindre dans ces situations, pour valider collégialement la prise en charge. On ne prend pas une décision dans son coin, on fait de la médecine, il s’agit de la vie des gens.

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Quelles sont les pathologies les plus rencontrées en EHPAD?

Les troubles neuro cognitifs, anciennement appelés démences.

Les pathologies cardio vasculaires comme les troubles du rythme, la maladie coronaire, l’hypertension artérielle. Et leurs conséquences comme l’insuffisance cardiaque et l’accident vasculaire cérébral.

Les infections respiratoires liées aux troubles de déglutition.

Comment se passe l’arrivée d’un nouveau résident, et quelle est ta place dans ce processus ?

Ma place se situe surtout en amont du jour de l’arrivée. Je reçois de la part du médecin hospitalier (si le senior est hospitalisé) ou du médecin traitant (si le senior est à domicile) un rapide dossier qui résume les antécédents médicaux, les traitements et le niveau d’autonomie. Ensuite, selon les cas, le médecin co peut rencontrer la personne âgée, chez elle ou à l’hôpital , en fonction de sa situation. Il est important de s’assurer que la personne soit partie prenante dans la démarche d’institutionnalisation. A l’arrivée dans l’établissement, je réalise une évaluation globale pour rechercher les grands syndromes gériatriques : troubles de la marche et de l’équilibre avec risque de chute, état nutritionnel, polymédication, troubles cognitifs… En fonction de l’évaluation, on définit la feuille de route, je détermine s’il y a un besoin kiné, si des modifications de traitement paraissent utiles… J’en informe le médecin traitant: c’est lui qui prescrira en conséquence s’il le juge nécessaire.

Comment est organisé le suivi médical au long cours de chaque résident ?

On peut diviser les missions de la manière suivante :

L’équipe soignante de l’EHPAD assure le suivi de données correspondant aux syndromes gériatriques. On peut citer parmi ces données le suivi mensuel du poids, le suivi quotidien de l’état cutané, l’évaluation de la marche par la psychomotricienne…

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Le médecin généraliste rend visite au(x) résident(s) qu’il suit pour renouveler leurs traitements et aussi, bien sûr, en cas d’évènement de santé intercurrent. Les infirmières de l’EHPAD exécutent ses ordonnances médicamenteuses, et suivent d’éventuelles prescriptions comme la mesure de la tension artérielle 2 fois/semaine… Voilà un exemple concret : en EHPAD, on ne mesure pas la tension et la fréquence cardiaque tous les jours, ni même tous les mois… Tout dépend des prescriptions du généraliste.

Si un souci de santé survient de façon brutale, soit le médecin traitant est disponible, soit l’infirmière appelle SOS médecin. Le médecin coordinateur intervient en dernier recours, et s’il est présent sur place.

Quels axes d’amélioration voudrais-tu voir travaillés en EHPAD?

Du côté des professionnels, les points que nous venons d’évoquer montrent la complexité du suivi santé en EHPAD. La démographie française va dans le sens d’une nette augmentation de la population des seniors. Je pense qu’il faut que le rôle des médecins co et des médecins généralistes soit révisé, sinon on risque de déservir l’intérêt du patient.

L’année 2020 nous a montré que la motivation et l’imagination des soignants pour proposer des solutions novatrices étaient remarquables. Les autorités doivent s’appuyer là-dessus, elles doivent nous écouter. Et puis il y a plein de pistes à creuser avec les solutions liées à la digitalisation. Regarde, la téléconsultation, qui avait jusqu’alors du mal à démarrer, a trouvé une place intéressante. Elle ne peut pas tout résoudre, mais elle a une place. Il faut être optimiste !